29 novembre 2022
avec Didier François, reporter de guerre sur LCI
« La guerre en Ukraine peut sembler loin des affaires publiques pour les entreprises en France et en Europe et pourtant elle va modeler le monde de demain. » Thaima Samman
Le rôle des affaires publiques est d’anticiper pour pouvoir mieux se préparer. Le cabinet Samman, a souhaité répondre aux interrogations de ses clients et interlocuteurs de comprendre les enjeux dès le premier temps du conflit.
L’invasion de la Crimée en 2014 et la guerre menée par la Russie en Ukraine depuis le début de l’année sont en train de transformer radicalement le paradigme européen de paix et de prospérité depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Les conséquences sont et continueront à être lourdes. Les pertes humaines sont massives des deux côtés. Au niveau politique, diplomatique et économique, la France et l’Union européenne devront repenser leurs alliances et positionnements.
S’il s’agit d’anticiper les problématiques : ce conflit marque la fin de la mondialisation telle qu’on l’a connue ces dernières décennies. Ses conséquences sur l’approvisionnement en matières premières et les chaines de production ont fait prendre conscience des interdépendances même avec des pays que l’on pensait éloignés.
Les échanges avec Didier François ont surtout permis de comprendre l’état des forces et les perspectives d’évolution militaires et géopolitiques.
La nature spécifique de la guerre en Ukraine
Didier François invite à placer le conflit ukrainien dans son contexte : celui d’un État membre du conseil de sécurité de l’ONU remettant en cause la souveraineté d’un État par le recours décomplexé à la violence et à la menace nucléaire.
De la manœuvre militaire au conflit s’installant dans la durée
La première phase du conflit s’est articulée autour de victoires ou de défaites territoriales liées aux rapports de forces déterminés par la situation géographique, les équipements utilisés et surtout de la logistique. Les avancées russes se sont d’emblée heurtées à la force morale des soldats et des ukrainiens, à l’usage des satellites de communications et à qualité du renseignement d’origine américaine dont disposaient les Ukrainiens pour parer les attaques.
La deuxième phase s’est installée au printemps 2022. Les Russes ont été obligé de se replier avec leur artillerie et de revenir sur le front du Donbass (à l’est). Si jusqu’à la mi-juillet la capacité des Ukrainiens a résisté reste incertaine, l’échec des Russes à prendre Sievierodonetsk commence à changer la donne.
Le ralentissement voire l’arrêt de l’offensive russe et la contre-offensive ukrainienne à la fin de l’été marquent une troisième phase. Les Russes sont obligés de faite une pause pour se réorganiser notamment par un appel à une mobilisation massive de 300 000 hommes.
Si la Russie semble marquer le pas, il ne faut pas oublier qu’elle a le temps pour elle, l’occident et ses opinions publiques pouvant rapidement se lasser et voir leur soutien s’émousser.
Du côté ukrainien, on s’organise pour faire des percées et reconquérir un maximum de territoires. Les dirigeants ukrainiens savent que l’objectif de leurs alliés occidentaux est de retrouver un ordre mondial stable le plus rapidement possible. Ils ne veulent pas se voir imposer une paix qui sacrifierait une partie de leur territoire au profit des russes. Ils essaient donc de construire le rapport de force le plus solide possible pour limiter les risques d’un découpage du pays.
La résistance ukrainienne dans les territoires occupés ?
Essentiellement constituée de cadres, de personnes très éduquées notamment à Melitopol et Kherzon, la résistance ukrainienne est très bien organisée et coordonnée avec de nombreux soutiens dans la population.
Le signe de la résistance est le ï, seule lettre qui n’appartient pas à l’alphabet russe.
La situation avec l’arrivée de l’hiver
Les Ukrainiens sont motivés et ont l’avantage du terrain. Ils sont à l’offensive continuent de marquer des points mais à un prix humains exorbitant, d’autant que les Russes ont adopté une stratégie de la terreur en bombardant les villes et les civils autant qu’ils le peuvent.
Comment la société russe réagit-elle ?
Il n’est pas facile d’analyser la société russe. L’accès à l’information est compliqué et leur vérité n’est pas celle de l’occident. Le régime de nature autocratique et fermé ne permet pas non plus de diffuser la réalité des forces et de la situation sur place. L’élite russe, composée de 100 000 personnes maximum, est entretenue par le régime depuis 25 ans et est par nature rétive aux changements. Les autorités semblent ne pas avoir coupé Internet, peu inquiètes d’une dissidence de l’intérieur.
Et de fait, pour l’instant il ne semble pas exister de contestations majeures. Les cadres, artistes et milieux culturels, marginaux en nombre, plus informés et plus occidentalisés, généralement hostiles au conflit, ont immigré massivement, avec le soutien tacite des autorités, limitant ainsi les capacités de protestation à l’intérieur des frontières.
Quid de l’unité européenne ?
Si elle existe aujourd’hui, on observe, de façon non étonnante, d’un côté, les pays de l’Est qui ont connu l’occupation russe pendant des décennies et souhaitant un affaiblissement maximum de la Russie, et les pays de l’Ouest, plus disposés à négocier. Le retour de la guerre aux frontières de l’Europe conduit à un réarmement progressif de tous les États.
Et maintenant ?
]Les Occidentaux ont refusé de céder aux ambitions expansionnistes de la Russie, qui remettait en cause l’équilibre mondial de l’après-guerre. Il s’agissait aussi indirectement pour les États-Unis de donner un avertissement à la Chine au regard de ses visées sur Taïwan.
Malgré les propositions que les occidentaux ont imposé à l’Ukraine au printemps dernier, les Russes ne sont pour l’instant pas prêts à faire des concessions, pariant toujours sur un essoufflement du soutien occidental. Ce refus d’ouvrir la discussion a provoqué, pour l’instant, la réaction inverse avec le renforcement de leur soutien notamment en moyens financiers et en équipement militaire et permis la contre-offensive depuis la fin de l’été. Le rapport de force a par conséquent évolué et les Ukrainiens cherchent maintenant à reconquérir les territoires y compris ceux perdus il y a dix ans. La question est maintenant celle du curseur acceptable dans les différents camps pour faire taire les armes. Nous n’y sommes pas encore.
Et pour demain ?
La question de la reconstruction et l’organisation du pays est déjà posée malgré les bombardements et affrontements en continu. Les pays soutien de l’Ukraine et les acteurs privés annoncent 630 milliards déjà disponibles à cet effet. Parmi les options, la mise en place de zones d’actions régionales par chacun des pays aidants a été évoquée et commence à être mise en œuvre, notamment par la France.