5 août 2024
Le dimanche 9 juin 2024, la France est entrée dans une nouvelle ère institutionnelle et politique. L’annonce par le Président de la République de la dissolution de l’Assemblée nationale, totalement inattendue un soir de lourde défaite pour la majorité présidentielle aux élections européennes, a ouvert une période qui devrait avoir un impact important sur la vie politique et nos institutions. La France est en effet confrontée depuis à des situations inédites porteuses de nombreuses incertitudes, en rupture avec son fonctionnement depuis plusieurs décennies. L’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 et son retentissement international offrent une pause et une légèreté bienvenues, l’heure étant désormais à la fête et à la célébration de sa culture et de ses athlètes. Mais la rentrée sera sans aucun doute très chargée et à forts enjeux. Les dynamiques de bouleversement de nos mécanismes institutionnels et de redéfinition des équilibres politiques devraient reprendre très rapidement. Ce contexte de crises politique et institutionnelle pourrait cependant être une opportunité de moderniser un système qui a visiblement vécu.
Les origines d’un changement de paradigme institutionnel et son accélération depuis 2022
La victoire surprise d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle de 2017 marquait déjà l’émergence d’un essoufflement du modèle français en place depuis 1958. Elle annonçait la fin d’un système politique organisé autour des deux grands blocs/partis du centre-gauche et de droite « gaulliste », autour desquels venaient parfois s’agréger des partis satellites (Parti Communiste pour les socialistes, partis de droite plus classiques au regard des standards européens pour le parti gaulliste) leur permettant de se succéder au pouvoir au gré des élections.
Emmanuel Macron s’est finalement glissé dans les institutions françaises sans chercher à concrétiser les conséquences de son élection.
Mais son échec à obtenir une majorité absolue lors des élections législatives qui ont suivi sa réélection à l’élection présidentielle d’avril 2022 a confirmé l’inadéquation d’institutions construites autour d’un pouvoir législatif à la botte d’un Président de la République et/ou d’un exécutif dominant avec l’évolution de la société et les volontés des électeurs. Depuis juin 2022, le Président et le Gouvernement ont de facto dû commencer à basculer vers une pratique européenne plus classique de majorités de projets, à défaut d’accord de gouvernement, sans parvenir à élargir leur majorité. La logique de coalition gouvernementale issue d’un accord de majorité parlementaire n’est pas parvenue à entrer dans le logiciel politique français malgré la réalité de la situation politique à l’issue des dernières élections présidentielles et législatives.
En imposant la dissolution de l’Assemblée nationale après une importante défaite électorale, Emmanuel Macron a totalement rebattu les cartes et précipité ces évolutions institutionnelles.
Les principaux enseignements de la dissolution de l’Assemblée nationale et des élections législatives anticipées sur le paysage politique
La dynamique des élections européennes annonçait une domination, voire une victoire de l’extrême-droite aux élections législatives qui devait leur permettant de revendiquer la formation et la direction du prochain gouvernement. Elle a été cassée par la mobilisation de l’ensemble des autres partis politiques et du reste de l’électorat autour du concept de « Front Républicain », que d’aucun pensait dépassé. Ce concept consiste à faire barrage aux candidats d’extrême-droite, considérés comme en-dehors de l’ « arc républicain », lorsqu’ils sont en position de remporter un siège à l’Assemblée nationale, en portant toutes les voix sur un candidat unique, soit le mieux placé à l’issue du premier tour.
L’autre surprise parmi les conséquences des élections législatives anticipées a été la capacité des partis de gauche, qui s’affrontaient pourtant violemment depuis des années, à construire une alliance électorale pour casser le plafond de verre du premier tour ainsi qu’à réunir le pourcentage de votes nécessaire pour concourir au second tour. C’est cette alliance inattendue qui arrive en tête des élections législatives, sans toutefois permettre à ses membres d’atteindre une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
La rapide recomposition du paysage politique français s’est installée autour de 3 grands blocs :
- L’extrême-droite sort à la fois renforcée et affaiblie de la période. Son groupe parlementaire à l’Assemblée nationale s’est renforcé de 37 députés (une augmentation de 40%) et constitue le bloc le plus homogène de la chambre basse. Mais la possibilité de conquérir le pouvoir, qui semblait pourtant à portée de main avec les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet, s’est éloignée, et ses résultats ont démontré à quel point la marche était encore haute pour surmonter le rejet de presque 70% des électeurs, capables de voter pour des candidats à l’opposé de leurs convictions pour leur faire barrage ;
- Un bloc de droite classique, construit autour de la majorité présidentielle sortante, qui a progressivement occupé le créneau pro-marché et pro-Union européenne du spectre de l’offre politique française. La majorité présidentielle sortante n’est cependant pas parvenue à trouver un accord de gouvernement avec la droite de tradition gaulliste pour gouverner après les élections de 2022, malgré la gémellité de leurs programmes et de leurs valeurs. Une alliance de circonstance leur a cependant permis de se partager une majorité de postes de gouvernance à l’Assemblée nationale, dont la Présidence de l’Assemblée nationale ;
- La coalition de gauche du Nouveau Front Populaire arrivée en tête des élections législatives mais qui est incapable ni de construire un accord de gouvernement, ni de construire un pôle crédible de conquête et d’exercice du pouvoir en raison de l’ampleur de leurs divergences stratégiques et programmatiques.
L’enjeu de la constitution d’un nouveau Gouvernement
L’équation de la composition d’un gouvernement dans ce contexte est particulièrement complexe. La France est aujourd’hui dirigée par un gouvernement démissionnaire expédiant les affaires courantes, avec en son sein plusieurs membres élus à l’Assemblée nationale.
Pour rappel, la Constitution française n’impose aucun délai pour la nomination d’un Premier ministre, qui relève de la seule compétence du Président de la République. Mais cette situation ne peut pas s’éterniser, d’une part en raison du principe fondamental de séparation des pouvoirs, d’autre part parce que ses prérogatives ne lui permettent pas de préparer sérieusement des projets de loi et en particulier les lois de finances, qui devront être adoptées avant la fin de l’année.
Emmanuel Macron a officiellement déclaré qu’il ne nommera pas de Premier ministre « avant la mi-août » en raison de la tenue des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Il a demandé aux représentants des forces politiques formant le « Front Républicain » de parvenir à des compromis, tendant particulièrement la main aux députés du groupe parlementaire de droite traditionnelle récemment crée « Droite Républicaine » (DR), avec lesquels la majorité sortante cherche à nouer un accord sur la base de propositions communes.
Scenarii possibles :
A ce stade, 3 scénarii de gouvernement semblent envisageables et pourraient même se succéder dans l’ordre ou le désordre :
- Un Gouvernement composé de personnalités issues des rangs de la majorité présidentielle sortante soutenu par les élus de la droite traditionnelle et sur la base d’accords ad hoc pour l’adoption de certains textes ;
- Des solutions à l’italienne ou à l’espagnole, avec un Gouvernement faible, issu de la majorité présidentielle sortante ou composé d’experts et/ou de techniciens pour permettre l’adoption des lois de Finances jusqu’à ce que la situation politique s’éclaircisse ;
- Un Gouvernement issu des rangs de la coalition de gauche du Nouveau Front Populaire avec un Premier ministre choisi par le NFP ou un député nommée Premier ministre par le Président.
Dans ce contexte, la France continuera d’être administrée à défaut d’être gouvernée :
- Selon la Constitution, l’exécutif dispose de l’administration et est chargé de la gestion du pays :
La Constitution de 1958 prévoit que le règlement est le principe et la loi l’exception (articles 34 et 37 de la Constitution.
La loi laisse beaucoup de place aux règlements. En outre, la base juridique est fournie par :
- Un corpus législatif pléthorique ;
- Des textes européens qui sont souvent d’application directe sans besoin de transposition.
- Des accords sur des textes devront intervenir lors de l’examen parlementaire pour éviter les blocages (par exemple pour le vote des lois de Finances) ;
- Il existe un risque limité de vote d’une motion de censure qui renverserait le Gouvernement.
La composition de l’Assemblée nationale
Coalition de gauche du Nouveau Front Populaire – 193 députés :
- La France Insoumise – 72 députés ;
- Parti socialiste (groupe Socialistes et apparentés) – 66 députés ;
- Les Ecologistes (groupe Ecologiste et Social) – 38 députés ;
- Parti Communiste (groupe Gauche Démocrate et Républicaine) – 17 députés.
Majorité présidentielle sortante – 166 députés :
- Ensemble pour la République (ex-Renaissance) – 99 députés ;
- MoDem (groupe Les Démocrates) – 36 députés ;
- Horizons (groupe Horizons & Indépendants) – 31 députés.
Rassemblement national et ses alliés – 142 députés :
- Rassemblement national – 126 sièges ;
- Groupe A Droite ! – 16 députés.
Le groupe parlementaire de droite traditionnelle Droite Républicaine (DR) – 47 sièges.
La répartition des postes à responsabilité :
Yaël Braun-Pivet, députée du groupe EPR (ex-Renaissance, majorité présidentielle sortante), a été réélue Présidente, à l’issue des 3 tours de scrutin et à seulement 13 voix d’écart avec le candidat du NFP. Elle a bénéficié pour s’imposer des voix des élus de la droite conservatrice du groupe parlementaire Droite Républicaine présidé par Laurent Wauquiez.
Les députés ont également voté pour la constitution des bureaux des 8 commissions permanentes de l’Assemblée nationale. Les groupes de la majorité présidentielle sortante sont parvenus à conserver 6 des 8 présidences des commissions, mais ses élus ne sont majoritaires dans les bureaux que dans 2 d’entre elles. Les présidents élus sont :
- Antoine Armand (Haute-Savoie, EPR), Président de la commission des Affaires économiques ;
- Éric Coquerel (Seine-Saint-Denis, La France Insoumise – NFP), Président de la commission des Finances ;
- Jean-Noël Barrot (Yvelines, MoDem), Président de la commission des Affaires étrangères ;
- Fatiha Keloua-Hachi (Seine-Saint-Denis, Parti Socialiste – NFP), Présidente de la commission des Affaires culturelles ;
- Jean-Michel Jacques (Morbihan, EPR), Président de la commission de la Défense ;
- Paul Christophe (Nord, Horizons), Président de la commission des Affaires sociales ;
- Sandrine Le Feur (Finistère EPR), Présidente de la commission du Développement durable.